Féministiques

Affaires féminines

Mois : janvier, 2012

Enimie, Elisabeth, ou la difficulté d’être d’une princesse

by Antagonisme

Tout commence avec Sainte Enimie, dont j’ai découvert l’histoire en vacances, en Lozère, chez des amis. Résumons brièvement son histoire, qui est légendaire, et nullement attestée, et pourtant, j’en suis intimement convaincue, tout à fait exacte.
Enimie est une princesse mérovingienne, extrèmement belle, bien entendue, et de surcroît, toute emplie de charité chrétienne, c’est-à-dire, préoccupée par les affaires sociales, comme nous dirions aujourd’hui : elle consacre une grande partie de son temps à soigner les lépreux, les boiteux, à aider les pauvres et les nécessiteux. Elle vécut au début du VIIème siècle, était la fille de Clotaire II, et la soeur de Dagobert, et vivait probablement dans le nord-est de la France, dans l’ancienne Austrasie.
Son père souhaite la marier, mais la princesse refuse et se dit mariée à Dieu, époux fort commode, surtout comparé à un prince franc de l’époque. Le père, le roi mérovingien Clotaire II, n’en prépare pas moins le mariage, sans s’occuper de son avis.
C’est alors que la princesse se tourne vers Dieu et lui demande de lui venir en aide pour l’aider à conserver sa pureté.
Nous allons voir de quelle façon Dieu lui vint en aide, mais franchissons avec désinvolture quelques siècles et penchons nous sur la cas d’une autre jeune femme, dont le destin est relativement proche, Elisabeth d’Autriche, plus connue sous le nom de Sissi.
Mais nous ne pensons pas, malgré tout son talent et son charme, à la Sissi de pacotille incarnée par Romy Schneider, à laquelle, par pur souci de me démarquer, je n’accolerai pas l’adjectif pourtant mérité d’inoubliable. Non, nous penserons à la vraie Elisabeth. La deuxième fille du duc Maximilien en Bavière et de la duchesse Ludovica de Bavière, quatrième enfant d’une fratrie de dix, issue d’une union sans amour, entre une mère ambitieuse et un père volage, élevée dans la liberté et l’indépendance, puis mariée à 15 ans à l’empereur François-Joseph Ier d’Autriche, tombé amoureux d’elle par hasard, alors qu’on lui destinait sa soeur Hélène.
Elisabeth, en plein XIXème siècle, n’a pas eu la chance d’Enimie, comme on va le voir ; peut-être aussi subit-elle l’influence pernicieuse du romantisme, qui a produit des romans à l’eau de rose racontant des histoires de jeunes filles qui s’éprennent de leurs princes et vivent ensuite heureuses, forcément heureuses, au milieu d’une ribambelle d’enfants – toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite, bien entendu.
Enimie, la princesse franque, a aussi entendu des histoires, sous formes de vies de saints ou de saintes, qui, à son époque, se comportent tous de la même façon : ils refusent carrément le destin qu’on leur propose pour vivre à l’écart du monde (en cette période de transition entre l’Antiquité et le Moyen Age classique, l’érémitisme est à la mode), ou bien, ayant vécu dans le monde, père de famille, notables établis, ayant mariés leurs enfants, ils renoncent à leurs biens ou les distribuent et embrassent (souvent avec leurs épouses) la carrière écclésiastique, qui fait assez fréquemment suite à une « carrière » dans l’administration urbaine, plus axée sur les problématiques financières ou politiques, dont elle est en quelque sorte la suite socio-éducative. Telles sont les histpires dont les évêques et confesseurs de la jeune princesse ont pu lui parler.
Elisabeth d’Autriche, douze siècles plus tard, se laisse donc marier non sans une naïveté dont je me plais à imaginer Enimie, vivant dans une époque plus dure, totalement dépourvue. Peut-être même cette dernière a-t-elle déjà eu à repousser avec véhémence les avances d’un guerrier de son père, les Francs ne donnant pas précisément dans le subtil. Sa soeur du XIXème siècle devient tout simplement l’impératrice d’Autriche, un titre qui lui a peut-être plus fait tourner la tête que la perspective offerte à Enimie d’épouser un duc ou comte de l’armée de fidèles de son père.
On connaît la suite de l’histoire d’Elisabeth : élevée sans contrainte, narcissique, le jeune impératrice se trouve soumise à la pesante étiquette viennoise, et découvre qu’on attend d’elle qu’elle soit disponible à toutes les modanités impériales et soumise à son mari. Par ailleurs, Élisabeth se sent surveillée par sa belle-mère et par l’entourage impérial. Son mari, qui l’adore, est souvent absent, accaparé par les obligations de sa fonction, et ne revient que très tard dans la soirée de Vienne.
Ses trois premiers enfants naissent entre 1855 et 1858, et sa belle-mère, déçue par l’attitude capricieuse et égocentrique d’Elisabeth, fort peu conforme à l’idée qu’elle se fait d’une impératrice, les lui enlève pour les élever. Sa fille ainée meurt, son mari part à la guerre, Elisabeth s’occupe en transformant le château de Laxenbourg en hôpital pour soigner les blessés de guerre. De retour de la guerre, son mari la délaisse et retrouve les femmes qu’il a connu avant son mariage. C’en est trop pour la jeune femme. D’où la profonde dépression dans laquelle elle tombe.
C’est alors que quelque chose de tout à fait intéressant se produit. Elisabeth se met à tousser : on lui diagnostique une tuberculose et on l’envoie à Madère. Elle revient ensuite à Vienne, et, fait intéressant, elle rechute aussitôt : elle est alors envoyée à Corfou. Elle finit par revenir à Vienne, après avoir été absente deux années, et accepte sa situation avec plus de sérénité, tout en faisant de fréquent voyage.
Revenons maintenant à Enimie, en pleine époque mérovingienne. Son père veut la marier, ai-je dit, et elle demande à Dieu de l’aider à « conserver sa pureté », ce qui revient à conserver son célibat. Et voilà que Dieu l’exauce ! Il lui envoie une lèpre qui la défigure, et fait évidemment fuir les prétendants. Aucun médecin ne parvient à la guérir. La princesse fait encore appel à Dieu et celui-ci lui envoie une ange messager, qui lui demande de se rendre dans le Gévaudan, dans un lieu appelé Burlatis. Elle y rencontrera des bergers qui lui indiqueront une source dont l’eau guérira sa maladie.
Naturellement, il faut supposer que le caractère surmaturel du message imposa le respect au père de la princesse, qui espérait certainement sa guérison. Enimie eut donc le droit de partir avec sa suite. Tout se passa comme l’ange l’avait dit : après s’être baignée dans la source, elle guérit : un vrai miracle.
De ce fait, il est décidé de rentrer au palais : mais à peine s’éloigne-t-elle de la source que la maladie réapparaît. La princesse retourne à la source, se baigne à nouveau, guérit, repart avec son escorte, est à nouveau atteinte du même mal, revient sur ses pas, se baigne, guérit… et comprend qu’elle va devoir passer le reste de sa vie sur le causse.
Enimie s’installe donc dans une grotte, ne gardant que sa filleure avec elle, tandis que sa cour s’installe dans des hameaux au bord du Tarn. Enimie fonde un couvent et un hôpital, ai-je lu dans des récits d’histoire locale.

On voit donc la similitude entre les deux princesses – mais aussi les différences. Les deux utilisent la maladie comme prétexte, qu’elle soit psychosomatique ou simulée, pour s’éloigner, mais Enimie se débrouille pour obtenir une indépendance qu’Elisabeth n’obtiendra jamais. Au contraire, celle-ci profite de sa richesse, en tant qu’impératrice, et une vraie vie de people d’il y a un siècle, avec les mêmes caractéristiques que bon nombre de people de nos jours (modification corporelle, probable anorexie). D’un autre côté, Enimie a peut-être été beaucoup plus précurseuse qu’on ne le croit : n’a-t-elle pas vécu seule avec une autre femme pendant des années sur un causse, inventant toute seule au sud de l’Auvergne la vie en communauté libertaire lesbienne ? A moins que cette filleure n’ait été en réalité sa fille, ce qui ferait d’elle une des premières mères célibataires, ayant réussi à mener une vie libre au prix de quelques aménagements avec la vérité ?
Elisabeth mourra assassinée, en 1898, par un homme qui voulait attirer l’attention sur lui par un coup d’éclat ; Enimie mourra, avec 628, après avoir passé sa vie dans sa grotte, avec sa filleule, et sera enterrée dans un lieu que les femmes de son monastère ont tenté de garder secret.
Quand je lisais des livres d’histoires, enfant, j’aimais à me fondre dans l’exotisme du passé, qu’il soit romain, médiéval, persan, ou indien. Aujourd’hui, je ne cesse d’être frappée par l’actualité de ce passé, dès qu’on cesse de se laisser abuser par les apparences. En somme, hommes et femmes, à toutes les époques, vivent des vies plus semblables qu’on ne le croit, et se contentent de trouver des solutions adaptées à l’esprit du temps, à des difficultés qui se font mystérieusement écho à travers les siècles.

Crédit photos : CielLe-paris

Les rêves sont les seuls souvenirs

by Antagonisme

Pour aller chez Gabrielle et Capucine, il fallait passer par ces allées poétiques, désuètes et mystérieuses, fleurant bon le Second Empire, de la petite banlieue où je résidais ; sortir de chez moi, contourner le jardin ensauvagé de la maison qui faisait face à la nôtre, arracher quelques branches folles de glycines ou de chèvre feuille qui passaient à travers le grillage, traverser une première route, juste au sortir du vaste et calme rond point qui expédiait les routes vers les champs de salades d’une ville voisine, vers le château royal d’une autre, vers la gare et son mystérieux et effrayant au delà parisien, marcher sur les trottoirs de sable fin bordés de gazon (ainsi étaient-ils à l’époque), tourner à droite, puis à gauche, déboucher sur une allée réservée aux riverains, fermée par une chaîne.

La barrière qui séparait la maison de la rue était en bois, portée par une base en pierre meulière, et si décrépite que l’on ne savait plus si elle soutenait les branches des arbustres qui s’emmélaient autour d’elle ou si ces branches retenaient les barreaux de bois dont la peinture s’écaillait par grosses plaques. La porte raclait le sol, je ne l’entrouvais qu’à demi pour m’y glisser. L’allée était bordée d’arbustes sauvages qui voulaient me barrer la route. C’était le château de la belle au Bois dormant.

Mes deux amies m’accueillaient drapées dans d’improbables châles, car il n’y avait pas de chauffage central dans la grande maison. Nous prenions les vélos et nous rendions jusqu’au magasin de jouets de la ville, pour nous y perdre une heure ou deux. La vendeuse nous connaissait et s’amusait de nous voir, qui regardions et n’achetions rien – jusqu’à un certain point. Nous regardions les maisons de poupées miniatures et les poupées de grande taille, toujours mise en scène dans des intérieurs anglais, avec petites tables, nappes, tasses à thé, théières, faux gâteaux, buffets décorés d’assiettes, fauteils avec coussins, canapés.

Quand nous avions bien remplis nos yeux de tout cela nous allions plus loin, à la bibliothèque, nous empruntions les planches de reproduction de peinture qui nous convenaient (Renoir, David, Matisse) et nous revenions chez elles. Nous avions décidé tout simplement de recréer tout un univers : une maison de rêve, palais vénitien de la Belle au Bois dormant, Neuschwanstein tout confit de tiédeur scandinave à la Carl Larsen, maison d’été de Shéhérazade. Nous goutions dans la salle à manger tout en jouant à fabriquer notre maison -univers : les tasses à liséré doré et la théière assortie, qui me donnait l’impression d’être moi-même dans une maison de poupée géante et parfaite, cotoyaient sur la nappe en jour d’angle blanc sur blanc des tissus, papiers, rubans et galons de toute sortes et de toutes tailles : en soie, en lainages, en coton, en gaze, dentelles, vert, or, argent, rouges, blancs, bleus et d’images de revues que nous découpions soigneusement. Pour les meubles en bois, nous étions obligée de coller le plus soigneusement possible des photos de meubles sur des boites de pâtes Rivoire et Carret.

Ma spécialité, c’était la confection de « lits de repos ». Mes grands parents avaient dans leur salon un lit de repos, très Empire, et lorsque je lui demandais quelle était la différence entre un lit et un lit de repos, ma grand mère ne savait rien me dire d’autre que : mais le lit de repos se met dans le salon. La seule différence résidait donc dans la localisation du lit, pensai-je à l’époque, ou plus précisement, ai-je maintenant compris, dans l’usage qu’on comptait en faire.

Je n’avais pas compris cela mais j’aimais la fonction floue des lits de repos et je fabriquais et décorais des lits de repos partout. On sait à quoi sert un lit. La fonction d’un fauteuil ou d’un canapé est nette aussi, c’est pour s’asseoir dans un salon, quand on reçoit des gens ou que l’on veut lire. Mais les lits de repos, sont des meubles un peu comme les tables à café, ou les tables basses que l’on place dans une pièce à côté d’un canapé ou d’un mur. A quoi cela sert-il ? A placer des photos, des bibelots, des souvenirs, des objets qui donnent le caractère à votre maison. De même, le lit de repos ne pouvait pas servir à s’asseoir commodément (j’avais essayé chez ma grand mère : on peut bien sûr, techniquement, s’y asseoir, mais on était alors obligé de se tenir très droit, les pieds touchant le sol, bien plus bas, dans un position très raide ; non, le lit de repos est un lit, il faut s’y coucher, s’y lover, s’y nicher, à l’aide d’accessoires comme des coussins, l’accessoire paresseux par excellence).

Le lit de repos, qui n’est plus guère à la mode dans notre époque trop rapide, constitue une sorte d’évolution parallèle, secrète, me plais-je à penser, du lit, dont la fonction évidente semble être de dormir. Pourtant, les premiers lits ne servirent pas à dormir, et ils furent d’abord associé au pouvoir : dans les civilisations mésopotamiennes, quand l’homme ordinaire dormait sur des paillasses ou des peaux de chèvres, le roi dormait dans un lit d’apparat qui symbolisait son pouvoir et marquait sa différence avec le commun. Les bas relief assyriens nous montrent des lits qui servent pas à dormir, mais à manger. Au Moyen Age puis à la Renaissance, les seigneurs dorment dans des lits simples mais reçoivent dans des lits d’apparat. A partir de la Renaissance et jusqu’à la Révolution, le lit devient de plus en plus important, toujours dans des fonctions d’apparat. Les rois ont des lits extravagants, comme Louis XIV qui en possédait plus de quatre cent, ornés de chevets et de garnitures très ouvragés.

Tout change avec le XVIIIème siècle et Révolution : démocratisé, le lit devient plus intime et personnel ; pour les Romantiques, il est lieu du délassement et des rêveries douloureuses ou exaltées. C’est justement à cette époque que la vogue du lit de repos, apparu au XVIIème siècle, se répand, dans les versions duchesse, duchesse-brisée et méridienne, tout au long des XVIIIème et XIXème siècle : il constitue un lieu à part, privé, réservé à la lecture ou à la rêverie. On le nomme sofa, ottomane ( tous deux désignant le repos «à la turque», ils désigneront plus tard des modèles de canapés ), duchesse en bateau, lit à la turque, turquoise, duchesse brisée, lit à la grecque, veilleuse, méridienne, baigneuse, etc. Des noms qui évoquent l’exotisme, la nonchalance, la rêverie, l’ailleurs, le voyage : des lits réservées aux classes supérieures, qui ont les moyen de passer de longs moments à lire, rêver ou converser.

Ce n’est que de nos jours que le lit a trouvé une fonction unique : celle du repos nocturne. En fait, la Révolution Industrielle a provoqué l’enrichissement progressif des classes inférieures, celles qui trimaient, dans les siècles antérieurs, pour que les autres puissent se prélasser sur leurs lits de repos. Elle a aussi provoqué l’amenuissement, jusqu’à disparition quasi totale, des classes oisives de la société. Qui a, de nos jours, le temps de se prélasser, lire, rêvasser, sur un lit ?

Pourtant, ce meuble inutile (car personne, chez mes grands parents, ne l’utilisait, sauf moi, parfois, pour lire) avait alors un mystère qui lui donnait un charme supérieur à tous les autres. C’est pourquoi je fabriquais inlassablement d’inutiles lits de repos pour la maison de poupée de mes amies, dont l’occupante (qui nous intéressait beaucoup moins que son mobilier) devait être assurément une grande oisive des temps moderne.

Nous n’avons, bien entendu, jamais terminé cette demeure, perpétuellement en chantier, comme le Versailles de Louis XIV. Pourtant, cette maison inachevée, idéale et imaginaire fait partie justement, des souvenirs que je n’ai jamais oublié…