Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur…

par Antagonisme

Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d’avoir vu, au-dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qu’il faisait. Les premiers bruits de la rue me l’avaient appris, selon qu’ils me parvenaient amortis et déviés par l’humidité ou vibrants comme des flèches dans l’aire résonnante et vide d’un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier tramway, j’avais entendu s’il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l’azur. Et, peut-être, ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation plus rapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, y répandait une tristesse annonciatrice de la neige, ou y faisait entonner, à certain petit personnage intermittent, de si nombreux cantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pour moi, qui encore endormi commençais à sourire, et dont les paupières closes se préparaient à être éblouies, un étourdissant réveil en musique.

Le réveil, c’est de cela dont le narrateur nous parle au début de la Prisonnière. Je sais bien que le texte se suffit à lui même, mais il me renvoie à de si délicieuses et personnelles évocations que je vais y ajouter quelque chose. C’est le matin, vous êtes au lit, et les premières perceptions de la journée s’offrent à vous. Et en effet, les bruits extérieurs vous renvoient une image, une sensation, aprfois même avant d’être totalement réveillé : bruit de la pluie, bruits amortis par la pluie tombée auparavant, ou claire sonorité d’un jour sec. La sensibilité extrême du narrateur rejoint mon expérience quotidienne du réveil, d’abord sonore, puis visuelle.

A la seule différence que les sons ne renvoient pas tout le monde aux mêmes sensations. J’aime, par exemple, le son mouillé des roues de voitures sur l’asphalte ; du moins s’il est associé au froid. Cela m’évoque une journée douillette, ponctuée de thé au citron et de petits gâteaux. A l’inverse, dès que les beaux jours arrivent, l’humidité sonore évoque des journées pourries, trop douces, avec des ciels blancs, bas et pesants.

Mais ce qui me touche surtout, c’est l’évocation de ce moment si doux, le réveil, le passage insensible de l’état de sommeil à la veille, la prise de conscience progressive, la montée lente et rapide tout à la fois, de la conscience, de sa plongée dans notre propre pénombre. Et le rôle que les sens, avant l’esprit, y jouent : les sons, les persceptions lumineuses (avant même de voir).

Crédit photo :  CielLe-paris