H&M Lanvin, Madrid 2010, souvenir

par Hélène

L’année dernière, alors que j’habitais encore à Madrid, il m’a pris tout d’un coup une furie de mode. J’étais en Europe, j’étais dans une capitale, je me suis rendu dans les boutiques H&M pour la collection Lanvin, le 23 novembre 2010, le jour où la dite collection, vue et revue sur le web, serait enfin accessible dans quelques magasins du monde.
J’avais tout fait dans les règles. Planifié. Observé. Repéré ce qui me plaisait. Fort contente de pouvoir ultérieurement me targuer (auprès de qui ? je me le demande, mais passons) d’avoir acheté le sac ou la paire de chaussure ad hoc. Du Lanvin dans mes prix. Et puis, avec la petite touche de happening que ce procédé marketing donne à l’achat d’un sac. C’est LE sac Machin de chez H&M, acheté à MADRID, sur la GRAN VIA, telle année, etc.
J’étais à fond dedans, et fort contente d’y être.
Au jour dit, je prends le métro. Gran Via. Las ! Une file d’attente terrible ; je décide de modifier mes plans (je ne suis pas prête à poireauter trois heures) ; je me balade dans le quartier ; je reviens : oh ! la file d’attente a sérieusement diminuée ; quel est ce prodige ? Je ne cherche pas à comprendre, je profite, je me mets à la suite des autres. On m’a donné un petit bracelet pour prouver que je suis là.
Les autres sont de vraies modeuses, j’ai un peu honte de mon look sortie en courant de chez moi. Ahem. Passons. A force d’attente, nous avançons, grignotons l’espace qui nous sépare du Saint Graal, entrons dans la boutique. Non seulement il nous faut attendre, mais on ne passe que par petits groupes. Le Saint Lieu occupe une petite zone du magasin et des vigiles le protègent. Finalement c’est mon tour, avec une petite dizaine d’autres filles. Nous nous pressons contre le cordon qui nous sépare de notre but, regardant la groupe précédent se jeter sur les vêtements. On sent l’hystérie.
Oui, car je contemple avec quelle vélocité nerveuse, quels rires extatiques, les filles se précipitent sur les portants. Tout ceci semble un petit peu surjoué. Vais-je devoir aussi rire de la gorge et faire Hiiii ? Hum. Surtout que je regarde, et les robes me semblent drôlement moins bien que sur les photos. C’est surprenant.
C’est mon tour. Je suis vraiment bousculée par des filles qui se ruent sur les vêtements. Je me rue un peu aussi. Les robes, vues de près, sont vilaines. Elles n’étaient jolies qu’en photo. Je n’arrive pas à comprendre : est-on sensée trouver cela beau ? Ou est-ce juste du snobisme ? je veux acheter quelque chose, mais pas si c’est importable, or tout me semble importable, sauf peut-être un manteau, qui n’est plus dispo dans ma taille.
Les chaussures me déçoivent : pas trop chères, et très fantaisistes, je les avaient repérées. Les photos suggéraient des couleurs vives et bariolées, mais lorsque je suis devant, couleurs et textures font tellement cheap que j’aurais l’air d’avoir acheté des pompes en plastique à talons de 12 cm chez un soldeur chinois. Il faudra que je me déchausse pour dire aux gens : ça a l’air moche mais c’est Lanvin pour H&M, collection 2010. Ou alors, il faudra que je les porte uniquement en présence de modeuses, mais alors, je mourrai de honte, car je ne serai jamais dans les dernières tendances. Bref, dans quel contexte pourrais-je porter des chaussures pas jolies achetées par snobisme ?
Et les sacs ? En photos, qu’ils semblaient jolis avec leurs motifs fantasques rétro-psychédéliques et leurs petits noeuds – vu de près, le matériau du sac semble lui aussi plastique et le noeud se défait.
Le plus surprenant, c’est que les robes n’ont pas l’air finies, les coutures s’effilochent. J’ai moi même une veste couture apparente qui fait que l’on vient toujours charitablement me dire que je l’aie mise à l’envers, et une jupe avec effet effiloché. Mais là, je regarde les coutures avec surprise : si je tire sur les fils, tout va partir. Certains font 5 cm de long et pendouillent sur les robes. C’est la première fois que je vois des coutures mal cousues qui ressemblent à de vraies coutures mal cousues. Est-ce que ce sont les derniers modèles fabriqués ? Est-ce qu’il y a eu un problème de façon sur ces robe-là, et ils les vendent tout de même ? Suis-je à ce point out ?
Je ne sais pas. En tout cas, je ne peux pas me retenir de penser que cette opération marketing annuelle de H&M est une gigantesque farce. Soyons honnête, il n’y a rien de mettable dans ce que j’ai sous les yeux. On est devant une sorte de kitch chinois européanisé.
Cette année, j’ai repensé à ça en regardant le produit de la nouvelle opération de H&M avec Versace. Prenons cette robe, que je trouve charmante, par exemple.
Mais qu’en est-il de la robe en réalité ?
Quant à celle-ci, je peux presque par avance, et avec regret, deviner ses défauts ; un tel bleu se doit être de qualité, et hélas, sa nuance me semble frôler le cheap – naturellement, je serai peut-être surprise, mais je ne crois pas.
Ce qui m’a fait rêver, c’est la médiatisation de l’affaire, sa mise en scène, le discours qui l’en toure. Je suis bon public, trop bon public.
Mais, comme le disait déjà Saint Jean Chrysostome (dans un contexte quelque peu différent), « tant que les spectateurs regardent le spectacle, le masque subsiste. Le soir venu, la pièce finie, les spectateurs s’en vont, le mensonge s’évanouit, la réalite se montre ; l’homme libre de la pièce, dans la vie n’est plus qu’un esclave ».

Dans ce magasin H&M, je me suis sentie honteusement l’esclave de cette immense escroquerie marketing.