Octavie

par Hélène

Octavie naquit à Rome, ou dans une grande villa de sa banlieue, dans l’une des propriétés de la famille de son fort riche père, Gaius Octavius, 69 ans avant le début de notre ère, aux temps troublés de l’interminable guerre civile de la fin de l’époque républicaine.

Sa mère, Julia Attia, faisait partie de l’antique famille des Julii, et avait pour oncle un certain Jules César, qui à cette date n’avait pas encore entamée la brillante carrière qu’on lui connait.  Octavie avait une soeur, Octavie l’Ainée, issue d’un premier mariage de son père, et un frère utérin, Octave – le futur Auguste.
Elle grandit entourée d’une population de servantes, de serviteurs et d’esclaves qui exécutent ses moindres désirs. Tout comme ceux de sa soeur et de son frère.
Les jardins sont vastes, on y circule au mileu des arbres, des fleurs et des fontaines. Octavie, comme son frère, aime la littérature et la poésie.
Son père meurt alors qu’elle a 10 ans ; sa mère se remarie avec le consul Lucius Marcius Philippus. A 15 ans, son beau-père la marie à Gaius Claudius Marcellus Minor, homme de haut rang (consul en 50 av. J.-C.), grande famille patricienne, descendant de Marcus Claudius Marcellus, grand général qui s’est illustré lors de la Deuxième Guerre punique.

Octavie n’a pas à se plaindre, ne se plaint d’ailleurs pas, et épouse.

Marcellus meurt en 40 av. J.-C. Octavie a 29 ans et trois enfants de ce mariage : deux filles et un fils.
Alors, c’est son frère Octave, redoutable prédateur politique, qui la marie à Marc Antoine : un mariage sensé renforcer l’union chancelante entre les deux héritiers de César. Octavie part en Grèce, à la suite de son général de mari, avec ses trois enfants, et les deux que Marc Antoine a eu d’un précédent mariage. Elle a deux enfants de son nouveau mari.
Peu de temps après, Marc Antoine, parti en Egypte, alors qu’Octavie est restée en Grèce, rencontre Cléopâtre. Coup de foudre, comme on sait ; la reine d’Egypte ne laisse pas repartir son général.

Octavie rentre à Rome ; mieux qu’Angelina Jolie, elle est à la tête d’une famille de sept enfants. Elle s’installe à Rome, dans la maison de Marc Antoine, et élève ses enfants.
Marc Antoine divorce d’Octavie en 32 av. J.-C. Avant de mourir deux ans après. Comme Cléopatre.

Leurs deux parents étant morts, Octavie accueille chez elle les trois enfants de Marc Antoine et Cléopâtre, et les élève avec les siens. Elle aurait probablement récupéré Césarion, le fils de César, mais son frère Octave, décidé à être le seul successeur de César, l’a fait assassiner. Elle a une quarantaine d’années.
Son fils, Marcus Claudius Marcellu, est adopté par Octave, devenu Auguste, qui n’a pas d’héritier, mais il meurt de maladie en 23 av. J.-C.. Octavie est très affectée par ce décès, et elle crée la Bibliothèque de Marcellus en sa mémoire, tandis que son frère Auguste, érige un théâtre, le Théâtre de Marcellus, en son honneur.

Octavie s'évanouit à l'annonce du décès de son fils (Ingres)

Incapable de surmonter la douleur de la perte de son fils, Octavie se retire de la vie publique et passe ses dernières années dans l’obscurité en portant le deuil, non sans avoir marié sa progéniture un peu partout dans le monde romain.

Cette femme m’a toujours frappé par ce qui se dégage d’elle a travers les auteurs. Octavie échappe totalement – contrairement à d’autres femmes de la dynastie julio-claudienne – au regard critique des historiens de l’époque, tous issus de la classe sénatoriale, dépouillée de ses anciens pouvoirs au profit des empereurs, et prompt à désinformer les siècles au sujet des dirigeants romains, ou des membres de leur famille, qui leur déplaisent.
Or, ce qui frappe avec Octavie (du moins cette Octavie-là), c’est l’unanimité qui se fait autour d’elle. Tout le monde est d’accord pour lui conférer le rôle de femme parfaite, même le Sénat qui, après sa mort, vote des festivités et des honneurs pour cette femme exceptionnelle : et c’est son frère, l’Empereur, qui s’oppose à ce qu’on les lui rende ces hommages là.
Pourtant, femme parfaite, c’est une vue de l’esprit, et singulièrement de l’esprit masculin. Qui est Octavie ? Comment l’atteindre à travers les siècles ?
A quoi songe-t-elle, quand elle revient de Grèce, avec sa farandole d’enfants ? Son frère, Octave, lui propose de quitter la maison de l’homme qui l’outrage en lui préférant une princesse orientale. Le voilà bien soucieux, tout d’un coup, de l’honneur d’une femme qu’il marie à sa guise.
Mais Octavie refuse. Elle ne risque rien à accepter, pourtant : Marc Antoine est loin, ses partisans ne sont pas majoritaires à Rome, elle est la soeur de l’homme au pouvoir dans la Ville éternelle. Mais elle refuse.
Que dit-elle à son frère ? Elle déclare, selon Plutarque  » qu’elle n’abandonnerait pas la maison de son mari, et elle dit à son frère lui-même que, s’il n’avait pas d’autres motifs pour faire la guerre à Antoine, elle le conjurait de ne pas tenir compte de ses affaires à elle, car il serait même honteux d’entendre dire que les deux plus grands chefs plongeaient les Romains dans la guerre civile, l’un pour l’amour d’une femme et l’autre par jalousie.  »
S’il n’avait pas d’autre motif pour faire la guerre à Antoine ! Octave n’a d’autres motifs pour faire la guerre à Antoine que la conquête du pouvoir, au nom du bien de la république.
A quoi joue Octavie ? Elle cherche simplement à glisser hors des mains de son frère. Une épouse n’abandonne pas la maison de son mari. J’aime assez sa façon transparente de filer entre les mailles du filet de son frère et des historiens romains. De nos jours, l’indignation de salon est à la mode ; on aimerait peut-être qu’Octavie ait eu ds gestes, des mots, des postures. Rien de tout cela : sa posture, c’est celle de la matrone parfaite.
Octavie me fait penser à Thomas Becket, ce favori du roi Henri II, courtisan noceur et joyeux, qui, une fois nommé par le roi à la tête de l’Eglise d’Angleterre, pour le débarrasser des privilèges du clergé anglais, se transforma, sous les yeux de ses contemporains stupéfaits, en prélat exemplaire, farouche défenseur des privilèges de l’Eglise d’Angleterre, adversaire résolu de l’autorité du roi auquel il devait tout.
Les enjeux sont moindres, mais Octavie aussi refuse d’obéir à son frère. Elle reste chez elle, c’est-à-dire chez Antoine, et élève « avec soin et magnificence non seulement ses propres enfants, mais encore ceux de Fulvia, et, lorsqu’Antoine envoyait certains de ses amis briguer des charges ou suivre des affaires, elle les recevait et les aidait à obtenir de César ce qu’ils souhaitaient. En agissant ainsi, elle causait sans le vouloir du tort à Antoine, que ses injustices envers une telle femme faisaient détester ».

A quoi pense-t-elle, Octavie, dans sa maison, entourée d’esclaves et de domestiques qui la déchargent de tout souci domestique. Lit-elle ? Reçoit-elle ses amis ? reçoit-elle parfois son frère ? A-t-elle des amants ? A-t-elle des maìtresses ? En tout cas, déjà, la sainte matrone outragée qui accomplit son devoir rallie tous les suffrages des Ivan Levai et autres Jean-François Kahn du monde romain.
Octavie décède en 11 av. J.-C.. Son enterrement public a lieu cette même année, en grandes pompes, avec ses beaux-fils portant le cercueil, et certains honneurs posthumes décernés par son frère : déification, avec construction de temples, et de la Porte d’Octavie et du Portique d’Octavie. Mais Auguste refuse les honneurs que le sénat a décrété pour cette femme trop parfaite aux yeux des sénateurs.
Il ne reste donc plus d’elle que ce souvenir irritant de matrone paradigmatique, et l’entêtement discret dont elle sut faire preuve envers son frère.